Neveu du roi, issu de deux puissantes branches de la noblesse de Gil-Elin, Lugh a passé ses premières années dans les hautes sphères du pouvoir, couvé par l'entourage royal, à l'abri des épais murs de la réconfortante cité de Fort-de-Guet.
Destiné à occuper un poste de premier plan, mais non à endosser la couronne, Lugh n'a connu, au cours de sa petite enfance, que les avantages d'être un Grand, sans les contraintes d'être LE Grand.
Pourtant, lorsque Isarn revendiqua et obtint la succession de son frère, la quiétude de la douce existence du garçon s'envola au grès des Vents Sacrés du Peuple de l'Air.
Lugh quitta Fort-de-Guet et la légèreté de son enfance.

Fils du nouveau roi, il fut dès lors élevé dans la perspective de succéder à son père le moment venu. Précepteurs, rhéteurs, maîtres d'armes, stratèges et diplomates rodés à l'art de la négociation, tous furent mobilisés pour inculquer au garçon les fondements nécessaires pour faire de lui un souverain, un grand souverain.
Inexorablement, l'entière adolescence de Lugh a ainsi été asphyxiée par un avenir qui empiétait déjà sur son présent. À l'abri derrière les murs emprunts d'histoire du Palais Royal, au sommet de la Tour du Roi, Lugh était comme prisonnier de sa propre vie.
Souvent, il se satisfaisait de sa situation : tous redoublaient d'efforts et se pliaient en quatre pour lui rendre le quotidien agréable. Cela étant, quelques fois, le prince regardait le monde et ses vastes paysages avec envie : il s'imaginait arpenter les terres sauvages d'Anor, les rivages brillants d'Ithilien, les grottes de souffre de Caevin, loin, bien loin de l'éclat fané de Tùrion.
Mais en définitive, Lugh considérait que, bien que synonyme de lourdes responsabilités, être le futur roi était un privilège partagé par peu.

À l'âge de dix-neuf ans, il entama une nouvelle étape de son apprentissage. Envoyé à Barad, la grande forteresse de l'est, il œuvra à parfaire sa formation militaire, sous le commandement de Beleg Forodrim, le frère aîné de Beren. Archer déjà accompli, Lugh apprit à maîtriser la fougue des chevaux d'Aranath, à flairer des pistes, à surveiller l'horizon et à prendre les décisions qui incombent à un chef militaire. Il affûta son autorité et son sens du commandement
Pourtant, quitter la belle Tùrion fut une expérience difficile pour le jeune prince, qui laissa un amer goût dans son sillage. Barad était une cité austère, bâtie dans les feux de Ruhta, et il y régnait un étrange sentiment de pesanteur, accentué par les épais nuages qui s'agglutinaient au-dessus d'elle, retenus par les Montagnes Blanches. Les deux années passées dans l'ombre de Barad parurent à Lugh plutôt longues, bien qu'elles l'enrichirent plus qu'il n'en eut conscience sur le moment.
Au-delà du fait qu'il acquit un important savoir militaire et stratégique, Lugh s'introspecta et s'endurcit ; il observa également l'environnement qui l'entourait, les individus, les peuples voisins et commença à arrêter la vision qu'il allait porter sur le monde pour les années à venir.
En quittant Barad, Lugh était devenu homme, un homme avec des idées et un caractère bien affirmé.

Lugh ne retourna pas immédiatement à Tùrion. Isarn, son père, l'avait encouragé à se rendre à Glaïn pour y faire escale. Des troubles, liés à la ravageuse pauvreté, agitaient la ville, et le roi pensait qu'il serait intéressant pour son fils de mettre en application l'enseignement reçu au cours des deux années précédentes.
Isarn avait vu juste. Combinant savoir théorique et un charisme naturel qu'il se découvrait, Lugh rétablit l'autorité royale dans la cité. Mais une fois sa mission accompli, il décida de demeurer encore quelques temps à Glaïn. Officiellement, il légitima sa décision auprès de son père en affirmant que les habitants appréciaient la présence d'un représentant de la royauté ; officieusement, il s'était pris d'amour pour cette cité, coincée au bord du lac, à la frontière des royaumes, où le commerce, bien que peu prospère, conduisait les habitants à s'ouvrir aux États voisins.
Lugh aimait ces échanges foisonnants et cette cité où il pouvait mener une vie aux mœurs un peu moins sévères et ascétiques que dans le reste du royaume de Gil-Elin.
C'est au creux de Glaïn que Lugh découvrir autres royaumes et leur potentiel ; c'est aussi à ce moment-là que naquit dans son esprit l'idée d'ouvrir Gil-Elin au reste du monde.

La mort de son père le rappela précipitamment à Tùrion, où l'attendait la couronne. Son sacre se répandit comme une onde de choc, cristallisée dans une mesure emblématique : l'envoie d'une missive destinées aux autres souverains, invités à découvrir le peuple de l'Air de Gil-Elin.
Les relations diplomatiques venaient d'être restaurées par ce nouveau roi.
Ainsi, depuis 4 ans, Lugh s'attache à conduire activement cette politique, en multipliant les relations commerciales et l'envoie d'ambassade dans les autres royaumes. Dans cette perspective, il parvint à négocier un mariage avec Faewen Ningyar, la sœur de Rhavan, roi de Caevin.
Les effets de ces réformes sont réels : le commerce et l'artisanat sortent lentement de leur léthargie et certains villages, en cendre depuis la guerre contre Garath-Gyrithis, commencent à être reconstruits. Pourtant, elles ne font pas l'unanimité. Si les habitants de Glaïn et de la plaine bordant le fleuve, qui en sont très largement bénéficiaires, les encense ; au nord de Tùrion, le roi Lugh Ier est vivement critiqué.
Bien que Lugh ait pour l'instant décidé de faire l'autruche, en ignorant ses détracteurs, il pourrait bien se trouver prochainement confronté à des révoltes, qui laisseraient dans leur sillage le toxique souvenir de l'ignoble Ruhta.   

Erda, la Solitaire ; Gal-Lasbelin, la lumière de l'automne ; Aldanwen, la fille perdue. Bien des noms désignent Eryn dans les poèmes qui s'élèvent encore au-dessus des Bois Murmurants. Au Nord, l'histoire de celle qui s'est écartée des siens est synonyme de tristesse et de bien des chagrins.
Première-Née du clan des Doren, Eryn est née sous la pâle lumière des étoiles d'automne, au creux des Bois Murmurants. D'aucun disent que l'alignement des astres prédisaient le singulier destin de cette jeune femme. Guerrière parmi les poètes, barde noyée dans le flot des soldats, l'existence d'Eryn est marquée par ce douloureux constat de ne jamais se trouver à sa juste place. Comme frappée d'une malédiction, condamnée à avancer sur la route en solitaire.

Dès son enfance, Eryn partait seule pour explorer la forêt, uniquement armée de son arc qu'elle maniait déjà avec dextérité malgré son jeune âge. Elle s'isolait pour tenter de maîtrise son pouvoir, celui d'apaiser la brise et de retenir le souffle du vent. Elle tirait ses flèches puis essayait de les guider en agissant sur la force et le sens de la brise.
Mais au cours de ses longues balades, Eryn se prenait à rêver à d'autres horizons. Quittant les sentiers sûrs et assurées des Doren, elle flirtait avec les frontières du territoire de son clan. Toujours à la lisière, les yeux rivés vers les terres inconnues.
Eryn aimait les Bois Murmurants comme tout être chérit son foyer, mais parfois, la jeune femme avait l'impression d'en être prisonnière.

Naturellement, lorsque la pauvreté des arbres fruitiers de Bois et les mauvaises récoltes des quelques champs cultivés au sud contraignirent les Doren à faire des provisions, Eryn se dévoua pour se rendre à Glaïn, afin d'y préparer la venue d'un convoi de nourriture.
Le conseil hésita. Bien qu'elle soit la fille d'un Premier-Né respectable et respectée, Eryn avait tout juste 16 ans, et ne se trouvait qu'à l'aube de l'apprentissage qu'embrassait chaque jeune Doren. Finalement, sa maturité, son esprit vif et ses capacités à se défendre firent pencher la balance en sa faveur.
Et par l'un des derniers matins de l'été traînant, Eryn prit la route.

Les paysages qui défilèrent devant ses yeux surpassaient toutes ses espérances. Plus elle avalait les kilomètres, plus elle sentait son cœur s'éloigner des Bois Murmurants et s'offrir aux délices des terres de Gil-Elin. Lorsqu'elle arriva à Glaïn, son être était entièrement consumé par le désir de découvrir le monde.
Soucieuse d'accomplir sa mission, elle acheta la venue d'un convoi de provision, avec lequel elle était censée prendre la route, pour retourner dans le Nord. La transaction était actée, lorsqu'elle rencontra ce jeune homme à la chevelure de feu.
Arès Eldorion était de visite à Glaïn pour négocier un traité de commerce avec Gil-Elin. Par un malheureux hasard, Eryn croisa la route du neveu de l'Intendante d'Anor. Premier-Né comme Eryn, celui-ci remarqua en un battement de cil la nature singulière de la jeune femme, que la beauté saisissante rendait d'autant plus notable.
Les effluves du sud alimentèrent les émois de jeunesse qui agitaient le cœur d'Eryn. Arès incarnait cette curieuse vie de voyage, de découverte et d'expérimentation.
Eryn succomba. La Première-Née accepta de suivre l'homme à Anor. Tiraillée entre son devoir, l'attachement aux siens et l'ardente passion de s'offrir la vie qu'elle espérait, elle décida de demander au conducteur du convoi de prendre la route seul jusqu'aux Bois Murmurants. Ainsi, elle mènerait à bien sa mission, sans renoncer à ses espérances personnelles.

Elle demeura presque un an dans la chaleur sucrée d'Anor. Elle côtoya les Premiers-Nés du feu, qui peuplaient les hautes sphères du pouvoir. Mais Arès finit par s'ennuyer d'elle et Eryn fut poliment invitée à retourner à Gil-Elin.
Le pas traînant, le cœur en peine, elle regagna les Bois Murmurants comme un condamné avance vers l’échafaud. Seule la pensée de retrouver les siens réconfortait son chagrin. Après tout, pour eux, elle pourrait bien se résigner à une vie plus rangée.
Mais tous ces projets volèrent en éclat lorsqu'elle pénétra dans ce qui avait autrefois été son foyer.
L'accueil que lui réservèrent les siens fut glacial. Le convoi n'était jamais venu ; Eryn avait accordé une trop grande confiance à un marchand malhonnête et son clan en avait rudement souffert.
Les Doren ont le cœur pur, ils sont bienveillants, seulement, ils pardonnent difficilement l'abandon et la trahison.
La sentence tomba : Eryn était bannie des Bois Murmurants.

Le monde de la jeune femme s'effondra. Que faire ? Où aller ? Eryn ne parvenait à se résigner à retourner à Glaïn, où l'attendaient de douloureux souvenirs, et l'effervescence de Fort-de-Guet et de Tùrion lui donnait le tournis. Elle n'avait qu'une option : aller vers le Nord.
Eryn savait qu'elle devait faire le point sur elle-même : l'aridité du Pays Sauvage semblait propices pour cette introspection.
Des mois durant, seulement armée de son arc, Eryn tenta de survivre dans les hostiles steppes du Nord. Vouée à une vie d'ermite, elle ne croisa âme qui vive. Son sort lui convenait. La solitude atténuait un peu la culpabilité d'avoir abandonné les siens.
Mais un hiver particulièrement rude s'abattit sur Gil-Elin et Eryn se retrouva prisonnière du froid et de la glace. Refusant l'éventualité de retourner à la civilisation, la jeune femme accepta cette ultime fatalité et se prépara à accueillir la mort.

La Faucheuse l'avait presque entièrement digérée lorsque le roi Isarn, parti en mission avec sa garde au Pays Sauvage, retrouva Eryn. Il amena la jeune femme inconsciente jusqu'à Tùrion et lui prodigua les soins nécessaires à sa survie.
Eryn reprit conscience quelques jours après, devant le regard bienveillant d'un roi qui en avait déjà intérieurement fait sa pupille.
Cette dangereuse danse avec la mort avait permis à Eryn de renaître. Elle avait abandonné l'insouciance, la naïveté et l'idéalisme aux glaces de l'hiver, et avait accueillit la tempérance, la méfiance et la réserve.
Restée plusieurs mois à Tùrion pour se rétablir, Eryn finit par s'établir définitivement dans la capitale, sous l'influence d'Isarn, qui lui proposa d'entrer dans sa garde personnelle. Il avait mesuré la qualité d'archère d'Eryn et connaissait son pouvoir quant à la maîtrise du vent. Deux qualités essentielles.

De fil en aiguilles, Eryn gravit les échelons jusqu'à devenir capitaine de la garde, puis commandante des armées. Cette nomination fut la dernière décision que prit Isarn avant de mourir.
Eryn reçut cette promotion comme un cadeau de ce père de substitution. Elle se jura de servir fidèlement Gil-Elin et son nouveau roi. Cette vie de devoir était la seule existence qu'elle pouvait encore accepter.
Depuis quatre ans maintenant, elle est donc au service de Lugh, dont elle commande les armées. Malgré des réticences à l'égard de la politique de son souverain, Eryn accomplit fidèlement sa tâche. C'est d'ailleurs pourquoi elle a décidé de s'établir en garnison à Barad : pour éviter les conflits concernant la politique militaire, elle préfère s'effacer.
Seulement Lugh l'a rappelée. Confiant et admiratif de la commande de ses armées, le roi souhaite qu'Eryn se rende à Aranath pour seconder Beren et défendre les intérêts du peuple de l'Air.
Cette perspective laisse Eryn dans le doute : bien qu'elle n'ait jamais mis les pieds à Aranath, ce royaume lui évoque les souvenirs fanés d'une ancienne vie qu'elle n'a finalement jamais vécu. Elle craint ce qui l'attend là-bas, mais surtout, sur qui elle pourrait tomber. 

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